L’évaluation du risque pour les centrales nucléaires

Cet article a été initialement publié le 03/09/2014 sur le blog de Paul Jorion : Ici (j’en ai profité pour corriger quelques fautes 😕 )

Il s’agit de mon premier article de vulgarisation scientifique qui a été publié. Je pense que c’est un bon point de départ pour lancer ce blog.

Ce week-end on parlait avec un ami de l’évaluation du risque pour les centrales nucléaires. Son point de vue était que ce calcul de probabilité d’accident, soit disant faible, est mal fait (au vu de l’histoire). De mon côté j’ai essayé de défendre le point de vue de Paul Jorion qui est que le problèmes ne vient pas tant de l’évaluation faite du risque qui est donné centrale par centrale mais plus du fait qu’il n’a pas été pris en compte le fait que ce risque se cumule pour chaque centrale en fonctionnement.

Jusque là, je comprenais cet argument, mais il me manquait malgré tout une démonstration pour m’en convaincre. Alors j’ai décidé d’y regarder de plus près.

Pour me l’expliquer je suis parti d’un cas simple. Si je prends un dé à 6 faces, j’ai 1 chance sur 6 de tomber sur le chiffre 1 à chaque tirage. La probabilité est donc de 1/6 (16,6 %). Maintenant, si on lance deux dés à 6 faces, quelle est la probabilité qu’il y est au moins un 1 par lancé ?

Voici les 36 possibilités :

Table 1 - Risque nucléaire

On peut donc compter qu’il y a 11 chances sur 36 d’avoir au moins un 1 à chaque tirage. La probabilité est donc de 11/36 (30,6 %).

D’après Wikipédia, « la probabilité d’accident de fusion du cœur a été estimée à 1 x 10-5 par année réacteur d’après une évaluation française d’un accident majeur de fusion du cœur dans un REP de 1 300 MWe. » Nous pouvons donc maintenant considérer que le risque d’un accident nucléaire pour un réacteur est donnée par un dé à 100.000 faces que l’on tire une fois par an.

Regardons maintenant quelle est la probabilité d’un accident nucléaire dans le monde. D’après Wikipédia toujours, au 1er avril 2012, il y avait 436 réacteurs civils en fonctionnement dans le monde.

À partir de là, il va falloir rentrer un petit peu dans les mathématiques. Revenons à nos dés et posons le problème jusqu’à 3 dés :

Nombre de dès Nombre de cas Chance Probabilité
1 6 1 1/6 = 0,167
2 6^2 = 36 (6-1)*1+6 = 11 11/36 = 0,306
3 6^3 = 216 (6-1)*11+6^2 = 91 91/216 = 0,421

On voit se dessiner la logique que l’on peut appliquer sur nos centrales :

Nombre de réacteurs Nombre de cas Chance Probabilité
1 10^5 1 10^-5
2 10^(5*2) = 10^10 (10^5-1)*1+10^5 = 199999 2*10^-5
3 10^(5*3) = 10^15 (10^5-1)*199999+10^(5*2) = 3*10^10 3*10^-5
n 10^(5*n) (10^5-1)*chance(n-1)+10^(5*(n-1)) ((10^5-1)*probabilité(n-1)+1)/10^(5)

Il est ainsi possible de calculer la probabilité d’un accident pour « n » réacteurs nucléaires si on connaît la probabilité pour « n-1 », « n » étant un entier supérieur ou égal à 2.

Une simple moulinette (faite avec Scilab) permet d’obtenir pour n = 436 une probabilité de 0.00435 tous les ans. Cela correspond à un évènement tous les 230 ans. Ce chiffre est nettement plus critique que lorsqu’on considère une seule centrale. Mais gardez en tête qu’il est optimiste sachant qu’il est donné pour les générateurs de deuxième génération en France.

Par curiosité, j’ai relancé le calcul en prenant en compte la probabilité d’accident donnée pour les réacteurs français de première génération de 5*10^-5, pour le même parc de 436 centrales. On obtient alors une probabilité de 0.02156 tous les ans, soit un évènement tous les 46 ans.

Ces résultats permettent de mieux comprendre la fréquence observée des accidents nucléaires civil. Cela tend à confirmer la vision de Paul Jorion qui accuse (sauf erreur de ma part) plus un défaut dans l’interprétation de l’évaluation du risque, qu’une erreur d’évaluation.

Il paraît donc risqué d’étendre ‎le parc nucléaire afin de subvenir à une réduction des énergies fossiles par exemple. Cela m’a convaincu qu’il était plus important de s’orienter vers une meilleur efficacité de nos équipements et une plus grande sobriété. Malheureusement, dans notre monde régi par la croissance, ces options ne sont pas envisageables.

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